Dans Lettre d’une inconnue, Ophüls plonge ses spectateurs dans un wagon de foire ; on choisit sa destination et, aux fenêtres, défilent des paysages de la Suisse ou de l’Iran. Pas besoin de prendre l’avion pour voyager : le voyage statique est à portée de tout le monde. Et l’on en sait parfois plus sur un pays en le lisant à travers l’écriture d’un homme qui l’a imaginé qu’en se perdant en photos.
1. Au coeur des ténèbres de Conrad
Ultra-connu et incontournable, le roman de Conrad plonge son lecteur au coeur de l’Afrique coloniale, tout au long du fleuve Congo et de ses mystères. Descente aux enfers quand on descend le fleuve, couleurs tropicales et mystères coloniaux : le bouquin est aussi le produit de son époque. Mais il reste une référence en matière de voyage. On conseille aussi la lecture des nouvelles de Conrad, notamment Un avant-poste du progrès, également écoutable, superbe plongée dans un poste colonial à la fin du XIXe siècle.
2. Flash ou le grand voyage de Charles Duchaussoy
Récit initiatique d’un junkie sur la route de la soie à la poursuite de son paradis inaccessible, Katmandou. Roman beat d’héritage, publié en 1971, complètement psychédélique mais qui offre des descriptions saisissantes de ces voyageurs qui voyagent aussi par la drogue. Ça donne envie d’aller sur la route de la soie – mais sans drogue.
3. Les Cavaliers de Kessel
L’Asie centrale et ses caravansérails, ses querelles d’honneur, avant le soviétisme. Kessel a de toute façon cette capacité hors du commun à saisir les traditions pour les retranscrire dans une langue lumineuse. L’évocation des steppes, des voyages à chevaux, des grandes étendues désertiques et de l’honneur des hommes qui donnent envie de devenir un Afghan des montagnes. Un superbe livre.
4. Corto Maltese : Tango de Hugo Pratt
On pourrait citer tout ce qu’a fait Hugo Pratt pour la qualité d’écriture et la précision documentaire avec laquelle il retranscrit le monde du début du XXe. Si l’épisode argentin de Corto Maltese n’est pas le meilleur de tous les albums de Corto, il est tout de même exceptionnel de par la manière dont il saisit l’âme de la capitale argentine et propose une galerie de portraits saisissante de tous ces émigrés européens qui y ont trouvé un refuge. Buenos Aires étant une ville qui, finalement, n’a pas tant changé en 100 ans, on s’y sentira projeté au fil des pages.
5. Bourlinguer de Blaise Cendrars
Une visite des ports du monde sous la plume du plus grand affabulateur que la Terre a jamais porté. La nouvelle sur Gênes, où Cendras s’invente une enfance italienne, est exceptionnelle. Dans ces ambiances de caserne, entre cases de pêcheurs et ancêtres des containers, on se transporte de port en porte avec une grâce proche du roulis des vagues. Du voyage statique.
6. L'Amour de la vie de Jack London
Recueil de nouvelles entre le grand nord pendant la ruée vers l’or et la Californie pas si lointaine. On connaît le parcours de baroudeur de Jack London qui a fait tous les métiers un peu partout dans le monde ; mais ce recueil nous donne à voir la dimension humaniste de son œuvre. Entre les coutumes inuits et la compréhension profonde de l’identité américaine en formation, on est téléporté dans des paysages dingues en s’en sentant partie prenante.
7. La Piste fauve de Kessel
Kessel est un génie. Ce recueil d’articles publiés dans les années 50 en est la preuve. Voyageant à travers l’Afrique en pleine décolonisation, Kessel en livre une analyse dingue de justesse ; s’il donne parfois dans la veine colonialiste (Kessel est né en 1898, on ne se refait pas), il plaide toutefois pour l’autodétermination des peuples et souligne tous les méfaits de la présence européenne sur l’organisation des ethnies et des États. Son passage par le Rwanda est tout simplement renversant : 50 ans en avance, Kessel y décrit très précisément les phénomènes qui conduiront à la guerre civile sanglante de 1994. On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.
8. Petit traité sur l'immensité du monde de Sylvain Tesson
À travers la figure du Wanderer, un terme souvent associé à Goethe, Tesson réfléchit sur le voyage en tant que tel et les voyages comme dépassement de soi. Hymne à la solitude, à l’absence d’attache et à la liberté, et voyage littéraire en tant que tel.
9. Le vieux qui lisait des romans d'amour de Luis Sepulveda
L’Amazonie. Le village local et ses édiles. Les rapports entre les blancs et les indiens. La menace de l’animal. Un livre sur le rapport de l’homme à la nature, sur sa petitesse face aux éléments, dans les moiteurs subtiles de tropiques plus vrais que nature. Et ça se lit en deux deux en plus, pour les flemmards.
10. Pô, le roman d'un fleuve de Paolo Rumiz
Tout au long du fleuve Pô, Rumiz décrit l’Italie du Nord, ancienne tête dévastée devenue le fleuron économique de l’Italie. Une vision à contre-courant des clichés de l’Italie où l’aventure n’est jamais loin – au large, la mer et plus loin encore, les pirates.
En plus, un livre coûte moins cher qu’un billet de première. Bonnes vacances.
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