Depuis la diffusion du génial Bureau des Légendes, notre perception du métier d’espion a généralement changé. D’un modèle James Bond, on est passé à un modèle Kassovitz, plus réaliste, plus proche des réelles missions effectuées par les clandestins pour les besoins de la France. Car il s’agit bien de cela : les services secrets ont pour objet de défendre et de faire vivre les intérêts de la nation française, dans une logique très XX° siècle dont on croyait s’être défaits aujourd’hui. Et la DGSE s’en sort bien : les services français font partie des plus puissants du monde. Et si leur fonctionnement est désormais mieux documenté, cela permet de lister les choses que l’on sait (plus ou moins) à leur sujet.
1. Les recrutements sont moyen secrets
Les services secrets français (DGSE et DGSI) recrutent régulièrement de nouveaux fonctionnaires. Pour entrer à la DGSE, il y a une voie militaire, interne, et une voie civile, externe. Le concours externe de la DGSE n’est pas public, mais il n’est pas secret : il n’est pas officiellement annoncé, mais on peut être invité à s’y inscrire ou se renseigner sur les sessions. Pour les métiers sur le terrain, il existe pour de vrai des tests in situ très difficiles et assez semblables à ce qu’on peut voir dans Spy Games. Dans le monde, chaque service a sa propre tradition, sa propre politique de recrutement.
2. Les clandestins font du renseignement, pas de la James Bonderie
Quiconque a déjà regardé Le Bureau des légendes le sait. Les clandestins ne sont pas envoyés en mission pour neutraliser des ennemis mais pour s’installer dans un certain milieu, effectuer des recrutements éventuels et, surtout, obtenir inlassablement des renseignements divers sur un secteur stratégique. Aucun rapport donc avec James Bond. D’autant que les secteurs stratégiques ont radicalement changé depuis plusieurs années, la science et les données remplaçant peu à peu l’industrie et l’énergie et les infiltrations au sein de groupes terroristes devenant de plus en plus communs à mesure que les taupes intégrées aux services secrets étrangers devenaient moins nécessaires.
3. Les clandestins peuvent rester inactifs pendant des années
Parce qu’on ne peut pas toujours envoyer directement un agent dans un secteur ultra-stratégique, il faut miser sur le long terme. Cela était notamment le cas durant la Guerre froide où il paraissait hautement improbable de voir un agent soviétique intégrer directement les services français. Une histoire est particulièrement intéressante, sur ce temps long : Pierre Cardot était un jeune homme tchécoslovaque dont la mère, morte, avait des origines françaises, ce dont il pouvait attester. En pleine guerre froide, il demande dans une lettre poignante à recouvrer la nationalité française pour accomplir son rêve et aller vivre en France. Il y parvient et termine ses études en France. Il entre alors dans des directions ministérielles peu stratégiques avant de se rapprocher peu à peu des services secrets. Dix ans à naviguer ainsi dans des eaux sans intérêt pour les services secrets qui l’employaient : car Cardot n’avait aucune origine française et ne s’appelait d’ailleurs pas Cardot. Malheureusement pour lui, il sera démasqué assez rapidement, mais c’est une preuve supplémentaire de la patience affichée par les services pour réussir à infiltrer leurs clandestins dans des strates d’influence.
4. Il existe tout un tas de métiers très différents au sein de la DGSE
Des analystes, des gratte-papiers, des agents de terrain et même probablement des comptables… Il faut imaginer la DGSE comme une entreprise qui produit du renseignement et au sein de laquelle il existe des fonctions en lien direct avec la finalité et d’autres fonctions support. On peut donc travailler à la DGSE et n’avoir pour seul contact avec l’excitation que le secret des notes de frais.
5. Il existe une cellule de tueurs habilités à éliminer des cibles
Au sein de la DGSE, on trouve donc le service action, qui dépêche des hommes sur le terrain. Et au sein de ce service, on trouve une cellule, la cellule Alpha, dont les membres sont habilités à tuer des ennemis. A l’inverse des forces spéciales, la cellule Alpha peut éliminer des cibles sans que son action soit rattachée directement à la France. Des tueurs illégaux, donc, placés sous l’autorité de la présidence de la république, et auquel l’Etat a recours notamment pour éliminer des activistes terroristes dangereux et des cibles prioritaires.
6. La DGSE (le SDECE à l'époque) a joué un grand rôle dans la guerre froide
On résume souvent la Guerre froide à la guerre secrète que se sont livrés les services secrets des deux grands, le KGB et la CIA. Mais c’est sous-estimer les rôles de deux autres services secrets majeurs, les services français et anglais. Si le MI6 a toujours eu la cote grâce à James Bond, on sait moins que la DGSE est à l’origine d’une des plus grosses affaires d’espionnage de la guerre, l’affaire Farewell, puisque ce sont les français que le colonel Vladimir Vetrov avait choisi d’approcher afin de leur révéler des informations capitales sur l’espionnage soviétique. Grâce à Vetrov, les services français ont obtenu une cartographie détaillée des informations détenues par les soviétiques sur la couverture radar américaine et d’autres enjeux stratégico-technologiques majeurs. Vetrov a aussi livré le nom des taupes soviétiques infiltrées aux Etats-Unis et dans d’autres pays occidentaux. Ces informations, transmises par le président Mitterrand à Reagan, ont joué un rôle central dans l’apaisement des relations entre la France et les Etats-Unis après l’élection de Mitterrand que les Américains considéraient comme un espion à la solde de Moscou (le gouvernement accueillait alors des ministres communistes).
7. On espionne tout autant ses alliés que ses ennemis
On pourrait imaginer que le travail d’espionnage et de renseignement ne concerne que l’ennemi, qu’il ne s’agirait, pour les services, que de garder un oeil sur les grandes puissances antagonistes du monde (ou supposées telles) : la Chine, l’Iran, la Syrie, la Russie… Mais même au sein de l’OTAN ou de l’UE, les pays s’espionnent les uns les autres. L’affaire des écoutes de la NSA avait entaché les relations diplomatiques américano-européennes pendant le mandat d’Obama mais il s’agissait d’un secret de polichinelle : comme les Etats-Unis, la France espionne également ses alliés européens et occidentaux afin d’obtenir des renseignements sur les volontés politiques de chaque pays dans le cadre de négociations internationales et pouvoir anticiper les exigences de tous afin d’obtenir ce qu’elle veut. Un exemple retentissant a été celui de la négociation atlantique sur l’exception culturelle française lors de la signature d’accords commerciaux bilatéraux, dans les années 1990. La CIA avait essayé de recruter un jeune chef de cabinet du ministère de la culture pour obtenir des informations sur les intentions françaises dans la négociation, mais celui-ci s’était tourné vers la DGSE qui l’avait chargé de donner de fausses informations aux Américains. Ou comment se retrouver espion sans avoir rien demandé.
8. Le principal budget de la DGSE, c'est le terrorisme
Aujourd’hui, une énorme partie du budget alloué à la DGSE passe dans la lutte contre le terrorisme. Les services sont associés aux manoeuvres militaires à l’extérieur (en Syrie ou au Mali), mais c’est avant tout l’activité d’écoute, de suivi et de détection qui sont chronophages et coûteuses. Le développement d’un uber-terrorisme, très low cost et sur des structures d’organisation minimales a encore compliqué la tâche des agents.
9. DGSE et DGSI sont parfois en opposition
Les deux directions sont très régulièrement amenées à coopérer, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Mais chaque entité possède sa propre culture, la DGSI ayant une tradition plus policière et la DGSE une approche plus diplomatico-militaire. De ce fait, il arrive fréquemment que leurs intérêts divergent : la DGSE pourrait ainsi être amenée à vouloir laisser en liberté un islamiste radicalisé s’apprêtant à perpétrer un attentat de façon à pouvoir se servir de lui pour démanteler un réseau entier quand la DGSI sera amenée à l’interpeller afin d’éviter tout risque qu’il ne puisse passer à l’action. Dans tous les cas, c’est au Président de la République, qui reste le chef des armées, de trancher sur ces questions.
10. Les services font aussi de la diplomatie
Il ne s’agit pas d’une diplomatie parallèle, mais plutôt d’une diplomatie complémentaire. Tout le travail des diplomates consiste à délivrer un message de manière neutre afin d’éviter que le dialogue entre deux Etats ne s’envenime sur des malentendus. Cette nécessité de neutralité, de clarté du message, de diplomatie, empêche bien souvent les deux parties de se parler franchement. Il n’est pas rare que les services secrets de pays opposés sur une question soient amenés à entamer à leur tour un autre dialogue, plus informel et plus clair dans le message délivré, dont l’issue peut influencer celui des diplomates de métier.
Mais parfois, tout ne se passe pas comme prévu. Les pires bourdes des services secrets sont plus marrantes que n’importe quel épisode de Mr. Bean.
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